Carnet de voyage du 22/11/2019

Le plus difficile, lorsque l’on reste longtemps au même endroit, c’est de partir…

J’ai déjà parlé des doutes que j’ai concernant mon avenir. Quelle sera la suite de mon parcours. Comment évoluera ma carrière ?

Aujourd’hui, j’ai compris quelque chose. Comme une certitude. Il était depuis longtemps sûr pour moi que je souhaitais continuer ce métier. Passer encore de nombreuses années en forêt, avec des singes. Maintenant, je sais que je veux ajouter à cela le métier de réalisateur. Cela peut paraître un peu prétentieux, le mot est peut-être mal choisi, mais c’est un peu ça l’idée. J’ai envie de filmer, monter des vidéos et créer des reportages.

J’ai envie de mettre en images ce que je vis, ce que je vois. Être témoin et en quelque sorte même, être un porte-parole de ceux qui consacre leur vie à la protection de la biodiversité et du monde vivant. Mettre en avant ceux dont on ne parle que trop peu. Montrer la beauté des lieux où je séjourne avant qu’ils ne disparaissent. Interroger, sensibiliser et rendre hommage…

Cela fait plusieurs mois que j’ai commencé. Certaine journée, j’ai filmé notre quotidien, sans trop de mise en scène. Je reste derrière la caméra. Ce n’est pas de moi que je veux parler, je le fais déjà assez dans ces textes. C’est eux que je veux mettre en lumière. Mes collègues, devenue des amis, avec qui, maintenant nous formons une famille…

A chaque fois, c’est à mourir de rire. Ils n’ont pas l’habitude d’être filmé. Ils ne peuvent s’empêcher de regarder du coin de l’œil la caméra avec de grands sourires aux lèvres. Mais après quelques coups, ils se prêtent plutôt bien au jeu. Je donne les instructions, tout le monde se met en place et après que je crie « action », mes camarades se mettent en mouvement avec une concentration digne des acteurs Hollywoodien, comme je me plais à leur répéter.

Mais ce que j’aime le plus, c’est la fierté qu’ils éprouvent en regardant le film une fois fini. Ils éclatent de rire à chaque fois qu’ils passent à l’écran, ils commentent chaque effet visuel et identifie chaque animal mise en image. Ils apprécient vraiment être ainsi mis en avant et je sais qu’ils le méritent.

Ce matin, je me suis levé une demi-heure plus tôt. A 5 h 30, après un café et une fois équipé, je me suis mis en chemin seul. Sur l’épaule reposait mon trépied avec ma caméra fixé au bout. J’ai parcouru ainsi le kilomètre et demi qui sépare notre camp du camp des éco-gardes.

Pendant quinze jours, six rangers patrouillent dans la zone, qui représente l’une des trois aires de protection prioritaire du parc, pour s’assurer que personne n’y pénètre. Ils représentent l’action la plus concrète de lutte anti-braconnage. Deux équipes se succèdent chaque mois. Il y a trois camps où ils séjournent quelques jours avant d’en changer.

Je les ai rejoints aux premières lueurs et j’ai directement commencé quelques prises. Le calme de la forêt qui se réveille, le clapotis de l’eau qui coule entre les rochers, le froid qui rapproche les hommes du feu, les premiers rayons du soleil qui traversent les branchages. Il y avait quelque chose de magnifique qui m’a donné envie de partagé ça avec d’autre…

Nous avons bu le thé ensemble. Ils m’ont invité à leur table pour le petit déjeuner. Nous avons discuté ensuite un instant serré autour du brasier. Les éternels question sur mon pays :

« Est-ce qu’il y a des forêts ? » ; « Pas aussi belle… » ; « Est-ce qu’il y a des singes » ; « Pas aussi libre… » ; « Quand est-ce que tu rentres chez toi ? » ; « Au mois de Mars » ; « Est-ce que tu vas revenir ? » ; « … »

Le plus difficile, lorsque l’on reste longtemps au même endroit, c’est de partir… 

Cela fait plusieurs mois que je me pose la question et quelques semaines que j’en ai trouvé la réponse…

Je pense qu’il va être temps pour moi de vivre une nouvelle aventure, décrire de nouveaux lieux et raconter de nouvelles histoires. Je veux faire quelque chose d’un petit peu différent. Une autre forêt, d’autres singes. J’aimerais aussi que mon statut change… Je trouve que « volontaire » est un mot affreux. Je me contenterais aisément d’un salaire moins important, voir même je pourrais m’en passer si en échange mon contrat porte une appellation plus gratifiante… Mais par-dessus tout, j’éprouve le besoin de trouver un endroit où il me sera possible de concrétiser mon projet. Faire avancer cette histoire d’association qui stagne depuis trois ans déjà…

Alors je me suis décidé. Il ne me reste plus que quatre mois à passer ici. Cela sera suffisant pour finir les petits films que je réalise. Cela sera trop pour ne pas regretter mon choix avant la fin…

L’amitié qui s’est créé avec mes collègues compte beaucoup pour moi. Les moments que l’on partage sont précieux. Depuis mon retour, les braises se sont enflammées et les flammes ont grandies jusqu’à chatouiller les premières feuilles des arbres…

Cependant, il était important que je prenne une décision. Faire le point sur mon parcours. Calmer mes doutes et me fixer de nouveaux objectifs. Je suis enfin arrivé au point culminant de mon voyage. Je regarde en arrière et je suis prêt à aller de l’avant. Je ne laisse pas mes échecs m’abattre. Ils ne me feront plus reculer !

Aujourd’hui, j’ai compris quelque chose. Comme une certitude.

Je ne sais pas où me mèneras ma prochaine expérience. Je pense que je vais prendre quelques mois, en France, pour étudier la question. Travailler pour mettre de coté et surtout pour investir dans du matériel. Si je veux réaliser des films, je vais devoir bien m’équiper ! Brésil ? Madagascar ? Ou directement l’endroit de mes rêves, la République Démocratique du Congo ? Seul l’avenir nous le dira.

En attendant, je compte bien profiter au maximum du temps qu’il me reste au Laos. Je ferme cette parenthèse avant de l’ouvrir de nouveau au début de l’année 2021.

Ce matin, en repartant du camp des éco-gardes, les Gibbons se sont mis à chanter. J’étais de nouveau seul. Je me suis approché le plus possible pour essayer d’enregistrer ces sons fantastiques. Puis, je me suis assis. L’esprit vide, j’ai saisi l’instant. L’instant d’après, comme une certitude : le plus difficile, c’est de partir…

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