Ces deux derniers jours, j’ai souvent eu envie d’écrire. Finalement, n’ayant pas vraiment le temps de me plonger dans de long paragraphe, je me suis contenté de prendre quelques notes.
Il est 16 h 00. Je suis revenue ce matin sur le camp après plus de deux semaines de repos que j’ai partagé avec un ami de France venue me rendre visite. La pluie tombe depuis quelques heures. C’est le bon moment pour essayer de vous retranscrire mes pensées griffonnées sur un carnet en y mettant un peu plus de forme…
« Assis sur la terrasse qui devance la maison des parents de Xiangmone, mon collègue, j’écoute et contemple la vie du village de Tapaiban.
Il est bientôt 19 h 00. Nous sommes le 19 Juillet. Le soleil se couche tranquillement, comme il le fait depuis que les Hommes se sont mis à penser. Dans un lieu privé d’électricité, la vie se cale au rythme du jour et de la nuit. En cette fin de journée, sonne comme à chacune qui l’ont précédé, les dernières activités quotidiennes.
Des enfants profitent des ultimes lueurs pour jouer ensemble avant d’être rappelé par leurs parents. Par-dessus le chant des insectes et des oiseaux, ils crient leurs amusements. Les buffles rentrent de leurs balades, faisant retentirent les cloches qui pendent à leurs cous. Le jour, ils sont libres, s’en allant se rafraichir au fleuve et se repaître de ses berges. La nuit, ils sont attachés aux poteaux des baraquements. Un homme m’a dit, il y a quelques temps de cela, que les maisons étaient sur pilotis pour offrir un abri aux bêtes. Ce n’est peut-être pas l’unique raison, mais il est charmant de voir buffle, cochon, chien et poule, les uns serré aux autres pour se protéger des intempéries.
Une chèvre bègue à haute voix. Pourtant, ce n’est pas encore son heure… A quelques maisons de là, quelqu’un pilonne du poisson séché mêlée à des condiments pour le repas du soir, ajoutant cette percussion sourde à l’orchestre.
Des femmes rentrent des champs, les bras chargés de bois mort pour nourrir les feux presque éternels. Les hommes eux, sont partis à la recherche des buffles les plus audacieux qui peinent à retrouver leurs chemins. Des cochons courent dans tous les sens à l’appel de leurs maîtres. Des jeunes passent serviette sur l’épaule ou enroulé autour du cou, s’en allant à la rivière pour le bain. Une petite fille en revient, avec sur l’épaule un bâton où à chaque extrémité pend un saut d’eau. Son pas boiteux plie sous la charge malgré le fait qu’elle soit accoutumé à ce jeu d’équilibriste qui ponctue son devoir journalier…
Le bruit d’un moteur se fait entendre au loin. Un bateau remonte le fleuve. Son pilote scrute le court d’eau et sa mémoire, dérivant sa course pour éviter les endroits où des bancs de sables stopperaient net son embarcation.
Un chien remonte l’échelle qui accède à la terrasse où je suis, en espérant trouver un morceau de reste trainant sur le sol. Madame Hat lance une série d’onomatopée pour inciter le canidé à faire demi-tour. Il s’exécute puis s’éloigne avec en tête l’idée de retenté sa chance plus tard.
Le soleil s’apprête à disparaitre derrière les arbres d’une montagne qui se dresse à plusieurs kilomètres du village. Le ciel se colore. Le bleu vire au violet. Une trainé rougeâtre apparait à l’horizon. Même les quelques nuages présents changent de teinte.
Dans ce tableau magnifique, moi, je souris. Je me sens tellement bien. Les heures inconfortables de pirogues m’ont épuisé, mais le crépuscule offre une douce retraite. Je reviens de congés. Demain, je me dirige de nouveau vers la station. Il était temps…
Bay, un membre d’une de nos équipes d’éco-garde, passe devant la maison. Il m’invite avec un grand sourire à l’accompagner pour la douche dans la rivière Nam-Theun. J’attrape une serviette, un savon, un caleçon propre et nous nous mettons en marche.
Un groupe de jeunes femmes est déjà présent sur les lieux. Lorsqu’elles me voient arriver, des commentaires et des rires retentissent. Je ne peux comprendre leurs langages, bien différent de la langue nationale, mais j’ai une idée de ce qu’elles racontent à mon ami.
J’essaye de ne pas y prêter attention. Je me dénude et plonge dans l’eau. La baignade finie d’apaiser un corps déjà bien reposé. Je m’abandonne au courant, me laissant dériver en regardant le ciel. J’aimerais faire ça pendant des heures, des jours, m’offrir définitivement aux eaux mais au bout d’un moment, je fini par retourner vers la rive…
Je sens des regards me fixer. Ils fuient lorsque j’essaye de les croiser. Des sourires timides se dessinent et des rires éclatent de nouveau.
Ma peau blanchâtre attire l’attention. Ma longue chevelure n’aide pas beaucoup. Ma grande taille et mon corps svelte apportent aussi leurs lots de remarque. Pour être honnête, je ne vais pas m’en plaindre. Ce n’est pas souvent que j’attire autant l’attention des femmes.
Un groupe d’enfants s’éloigne à chaque fois que je nage dans leur direction, comme si j’étais un crocodile qui cherche pitance. Au bout d’un instant, j’en joue, je les chasse feintant de vouloir les dévorer tout crus sous tous ces regards amusés. Leurs courses pour s’extraire à ma portée éclabousse tout le monde. Leurs rires, eux, éclaboussent surtout mon âme.
Je fini par abandonner mes proies et sort de l’eau pour me savonner. Quelques minutes plus tard, nous rentrons, peaux lavés et sourires aux lèvres.
Me voilà de nouveau sur la terrasse. Il fait bien nuit à présent. Le village est devenu silencieux. Les lumières des lampes torche se baladent entre les maisons. La lune est généreuse. Les étoiles apparaissent petit à petit, venant s’accrocher à la voute céleste.
Un plateau est présenté devant moi, chargé d’assiettes. Les hommes s’assoient autour, en tailleur sur la natte de feuilles tressé qui recouvre le sol. J’aide mes jambes à se contorsionner pour adopter la même position, moi et ma souplesse légendaire…
On m’invite à démarrer le repas, sourire toujours plus étendu sur le visage. Je joins les mains et incline la tête pour leur en remercier, prière sans mot qui viens tout droit du cœur.
Très vite, l’alcool se joint au festin. Les rires aussi. La nuit est tombée mais nous nous battons pour résister à l’appel du sommeil. La nourriture récompense le labeur, la boisson elle, chasse les mauvaises pensées et délie les langues.
Xiangmone enchaine plusieurs phrases en anglais. Nos leçons portent leurs fruits. Moi, je me débrouille bien en laotien. Mes efforts payent comme les salaires de mes convives, maigrement mais surement.
Je raconte mon séjour dans le Nord du pays, accompagné d’un ami. Mes rencontres à la capitale. Mon coup de cœur… Je questionne sur ce qui s’est passé ici, pendant que j’étais parti. Situation peu banale. Doucs en pleurs…
La soirée s’écoule, l’alcool aussi. Mes yeux se ferme et des visages m’apparaissent. Toujours les mêmes. Mais malgré les ombres qui se faufile dans le noir, je fini par trouver le repos. La lune est généreuse. Elle veille. A ses côtés, deux étoiles, enfin réuni, me surveille aussi…
Aux premières lueurs, tout le monde est déjà debout. Moi, je me cache sous la couverture en espérant prolonger la nuit. Au bout d’un moment, j’abandonne. La vie suit son court, même lorsque l’on veut se persuader du contraire.
Si tôt levé, je me rends au fleuve pour me débarbouiller, me brosser les dents et coiffer une tignasse malmenée pendant la nuit. De retour chez mes hôtes, petit déjeuner. Accompagné d’un café. Jusqu’à ce que quelqu’un se rend compte qu’une bouteille de la veille n’a pas été fini… Grave erreur ! Elle me retourne l’estomac. Je vois Xiangmone donner de l’argent à sa jeune sœur qui part en mission. Je commence à connaitre la chanson. La deuxième bouteille passe mieux. La troisième me rapatrie sur le matelas instantanément. Le retour au camp attendra un jour de plus…
De nouveau sur pieds, nous allons faire un tour sur le fleuve. Le moteur de la pirogue fait un vacarme d’enfer… Ma trousse de secours se compose d’un tube de bétadine et quelques pansements… Une boite de doliprane n’aurait pas été de trop…
La prou du bateau se plante dans la plage. Le silence revient. Mes amis s’équipent de masque et s’éloignent pour plonger, harpons artisanaux en main. Pour le moment, je me contente d’une baignade relaxante. Je suis amorphe. Ce n’est pas seulement dû à l’alcool. C’est juste que le temps tourne au ralenti. Je suis déconnecté du monde. Je l’ai laissé derrière moi. J’imagine que lui, tourne toujours à pleine vitesse. Que les gens se bouscule, pressé par deux aiguilles qui tourne sans jamais s’arrêter.
L’horloge de l’apocalypse annonce minuit moins cinq… Ici, il est 11 h 00 du matin. Le fleuve coule, entouré d’arbres qui poussent lentement. Les oiseaux se font la cour et les hommes reprennent leurs souffles après de longues période en apnée. Je me demande si je ne me suis pas noyé et qu’en cet instant, je suis au paradis…
De retour au village, nous préparons les poissons que les plus aguerries ont réussis à chasser. J’avoue avoir tenté ma chance… Très peu concluant. J’ai au moins eu le mérite d’avoir bien amusé mes camarades.
Un bon déjeuner obtenu de nos propres mains. Au risque de déplaire au végétarien, je ne peux nier que ces repas sont les plus appréciables. Satisfait d’être éloigné des élevages industriels et des sociétés de consommation sans limite, je suis fière de ce retour aux sources. Nous prenons à mère nature seulement ce dont nous avons besoin pour la journée et pour nos familles. Demain, je retourne auprès d’elle pour payer ma dette… »
Il est tard maintenant. La pluie ne s’est toujours pas arrêtée. Je ne vais pas m’en plaindre. Elle permet aux Hommes de cultiver leurs champs et aux forêts de muer. Le Yang indispensable pour que la beauté du Yin perdure…
Puisse la beauté de ces lieux perdurer a jamais…