Carnet de voyage du 12/06/2019

La nuit tombe. Assis sur mon perchoir, je me lance dans un peu d’écriture, jusqu’à ce que l’obscurité m’oblige la retraite au creux des bambous.

Cela fait six jours que la pluie nous accorde une trêve avant la longue bataille. Six jours que le soleil s’infiltre dans les branchages et inonde la canopée de ses lumineux rayons.

Je me souviens avoir souvent ressenti l’année dernière la frustration de ne pouvoir contempler la beauté de la forêt qui s’étend sur des kilomètres. Les monts pourraient offrir de somptueux point de vue mais les arbres et leurs chevelures forment une prison qui soustraient les vastes étendus à nos regards… Lorsque je m’élève au flanc des courbes de la terre, qui de chaque côté de notre camp forme des soldats aux gardes à vous, j’essaye tant bien que mal à apercevoir la vallée encerclée de ces sommets. Mais en vain. Feuilles et écorces s’y opposent ne laissant que notre imagination pour se faire une idée du spectacle d’une canopée illuminé de milles teintes, à perte de vue…

Cette année, cela est bien différent. Aujourd’hui, ce formidable tableau s’est offert à moi, me laissant sans voix. Au bout d’un moment, quelques mots sont apparus :

 

« Il est bientôt seize heures. Le soleil a déjà bien entamé la deuxième partie de son voyage. Mon compagnon et moi-même sommes bien silencieux. Même les oiseaux, qui s’alarmaient de notre présence, se sont tue, après avoir dénoncé notre intrusion pendant de longues minutes. Je suis assis sur une branche, hypnotisé par le paysage qui me fait face. Chaolor, un petit peu plus haut que moi, se goinfre de fruits comme le ferait ceux qui ont l’habitude de venir ici. J’ai les muscles des bras tétanisés. Ils apprécient ce repos bien mérité. Des gouttes de sueur perle encore sur mon front, attirant l’attention des petits insectes qui virevoltent autour de moi. Quelques minutes plus tôt, mon rythme cardiaque s’emballait. A présent, il se mue dans un silence quasi-religieux.

J’avoue que l’idée d’immortaliser ce moment par une photographie me traverse l’esprit. Mais mon appareil photo est rangé dans sa sacoche, qui elle-même est posé au sol, une trentaine de mètres en dessous de mes pieds.

Un sourire se dessine sur mon visage qui jusque-là, n’exprimais que la surprise devant de telles grandeur. Je me sentais minuscule face à cela, maintenant, je réalise à quel point je grandis.

Nous sommes seul. Deux hommes au sommet d’un arbre au milieu de la jungle. Personne au sol. Dans un petit sac, accroché à mon harnais par un mousqueton, un piège-caméra attend que je l’installe. J’observe l’architecture de cette imposant arbre qui surpasse presque tous ses voisins. Seul deux arbres atteignent son niveau à deux extrémité opposé, formant un couloir que les animaux doivent très probablement emprunter. Une branche y offre un emplacement parfait pour installer la caméra. J’observe à présent la ramification qui me permettra d’y accéder. Un chemin pour me rendre à ce point me semble accessible pour l’apprenti arboriste que je suis. Avant de m’y lancer, je m’accorde un temps supplémentaire dans l’observation de cette océan vert.

Il est bientôt seize heures. Le soleil a déjà bien entamé la deuxième partie de son voyage. Ainsi incliné, il colorie la canopée de nombreuses nuances de verts. Les branchages dansent au rythme du vent. La forêt joue sa plus belle mélodie. J’ai mis longtemps avant de pouvoir admirer pareil spectacle. L’attente à rendu le plaisir encore plus appréciable.

Nous sommes seul. Pourtant, je n’ai rarement senti autant de vie autour de moi. »

La nuit est tombée. Comme prévue, je me suis installé sur le bureau de ma cabane. Le mois dernier, avant de retourner en forêt, j’ai oublié de racheter des piles pour ma lampe torche. Mon avis n’a pas changé, écrire à la lueur dansante d’une bougie offre un certain charme.

La flamme ondule son corps derrière sa cage en verre, comme pour attirer mon attention. Sa marche. Parfois, je m’arrête d’écrire pour contempler cette charmante demoiselle me séduire en se dandinant.

J’ai dit un jour devoir faire attention de ne pas tomber dans l’anthropomorphisme. Maintenant, j’y saute à pieds joint !

La mer, la montagne, la forêt… Elles sont toutes pour moi des femmes. Faute à la langue française.

A force de l’observer, je n’ai pas pu m’empêcher de tomber amoureux de la plus belle d’entre elles. La forêt, déesse de la vie. Escalader les arbres est devenue un moyen très chevaleresque de m’abandonner à elle.

Je remercie le sort de m’offrir de telles expériences. Je remercie Camille aussi !

Perché dans cet arbre, j’ai confié à Chaolor que notre métier était l’un des plus beau au monde. Il est loin d’être facile, mais le bonheur qu’il me procure m’est encore incomparable.

Plus le temps passe et plus mon amour pour cette femme à la peau d’écorce et à la chevelure feuillues ne fait que grandir. J’apprends les traits de ses formes. Découvre ses humeurs. Comprends ses peines. Partage ses joies. Elle offre la vie en abondance. La cour de cette reine généreuse se compose de milliers d’espèces. Tous la vénèrent pour le royaume qu’elle leur offre. Mais lorsqu’ils m’aperçoivent, ils me toisent du regard avant de fuir, criant au danger. Il me rejette, me suggère l’exil et dans leurs froides manières, je songe au retrait.

Cependant, je ne peux abandonner la proximité de ma bien-aimée, jusqu’à ce que ce soit elle qui me congédie.

Je ne sais ce qu’il en est vraiment, mais dans ma folle tentation, je continue de m’approcher d’elle. Je cherche son regard, espère effleurer sa peau, sentir son parfum et que dans un silence, sa voix me parvienne :

« Reste auprès de moi… »

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